27 mars 2020
Posté dans Droit des affaires
La notion de « force majeure » apparaît quasi-systématiquement dans les contrats commerciaux, baux commerciaux ou professionnels ou encore dans les conditions générales de prestations de service, d’achat ou vente.
Elle est souvent considérée comme un motif de se libérer sans frais, ni indemnité, de l’exécution de ses obligations contractées en faveur de l’autre.
Aujourd’hui, chaque entreprise peut s’interroger considérant la situation actuelle : Constitue-t-elle un cas de force majeure ?
La présente note technique n’a pas pour vocation, de fournir des garanties aux lecteurs puisque retenir la force majeure relève soit du législateur, soit des tribunaux.
Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire n’a-t-il pas déclaré le 28 février 2020 que « Le Coronavirus, aussi appelé « COVID-19 », sera considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises de tous les marchés publics de l’État.
En revanche et en ciblant les contrats commerciaux (hors marchés publics), il apparaît opportun de savoir si ce mécanisme peut être évoqué dans sa situation – en s’appuyant notamment sur des considérations juridiques et des précédents judiciaires - et dans l’affirmative, être soutenu à son contractant à fin d’ouvrir des discussions avec lui portant sur l’adaptation de ses engagements, sur leur timing, sur leur quantité, leur qualité et surtout sur leur aspect financier…
CE QUE DIT LA LOI
1 - Définition - La force majeure se définit en matière contractuelle comme un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées et qui empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.
(Article 1218 du Code civil)
2 – Effet de l’existence d’un cas de force majeure - Si l'empêchement résultant du cas de force majeure est temporaire, l'exécution de l'obligation sera suspendue, à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat.
Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations.
LA POSITION ADOPTEE PAR LES TRIBUNAUX
L’étude de la jurisprudence pointe une résistance claire des magistrats à retenir la force majeure (en particulier, en présence d’une épidémie) et met en avant la nécessité de justifier de critères.
1 - Deux conditions en guise de pass d’entrée - Les tribunaux exigent la démonstration préalable d’un événement imprévisible ET irrésistible.
(Cass. ass. Plén., 14 avril 2006 n°02-11168 : Dans cette affaire, la force majeure a été retenue en présence d’un débiteur malade empêché effectivement de fournir sa prestation. La cour suprême a pris en compte le fait que l’incapacité physique résultant de l’infection et de la maladie grave survenues après la conclusion du contrat présentait un caractère imprévisible et que la chronologie des faits ainsi que les attestations relatant la dégradation brutale de l’état de santé du débiteur faisaient la preuve d’une maladie irrésistible).
Ces critères jurisprudentiels s’apprécient au jour de la conclusion du contrat.
Nul ne se prévaloir de circonstances qu’il qualifie de force majeure, dont il avait connaissance avant de signer.
(CA Saint-Denis de la Réunion, 29 décembre 2009 n°08/02114 : l’épidémie de chikungunya
Illustration de la résistance des Tribunaux : « La maladie du débiteur d’une obligation de payer un loyer n’a pas été considérée comme constitutive de la force majeure dès lors que le débiteur devait penser, au moment de conclure le contrat, à être en mesure d’exécuter son obligation et qu’il avait la possibilité de le faire en souscrivant une assurance contre le risque d’invalidité ; »
(Cass. 1ière civ., du 22 avril 1992, 90-15.338)
2 – Inexécution irrésistible – Pour invoquer la force majeure, l’entreprise doit faire la démonstration qu’elle ne pouvait délivrer la prestation ou fournir le produit en raison de l’évènement qu’elle qualifie de force majeure.
(Cass. ass. Plén., 14 avril 2006 n°02-11168 : la Cour de cassation a approuvé une cour d’appel d’avoir exonéré un fabricant de son obligation de livrer une machine, en retenant que présentait les caractères de la force majeure, la grave maladie qui avait frappé cette personne, imprévisible au moment de la conclusion du contrat et irrésistible lors de son exécution puisqu’elle en était décédée)
A bon entendeur, difficulté d’exécution ne signifie pas impossibilité d’exécution.
Seule l'impossibilité stricto sensu d’exécuter l’obligation est constitutive de la force majeure.
A l’inverse, de simples difficultés, même considérables, ne sauraient être prises en considération. Les tribunaux refusent ainsi, tout effet exonératoire aux difficultés rencontrées par le débiteur dans l'exécution ou aux circonstances rendant celle-ci plus coûteuse.
En matière d’obligation de paiement, le débiteur d’une somme d’argent ne saurait invoquer des difficultés financières pour être exonéré de sa responsabilité en cas de non-paiement.
(Cass. com., 16 septembre 2014, 13-20.306)
3 – Lien de causalité – Les Tribunaux attendent du débiteur de l’obligation de payer ou de faire qu’il démontre également que l’évènement présenté comme force majeure a réellement fait obstacle à l’exécution de son obligation.
La circonstance d’un cas de force majeure (grippe aviaire par exemple) ne suffit pas à pouvoir se prévaloir du cas de force majeure. La force majeure permet au débiteur de s’exonérer de l’exécution des obligations nées du contrat tant qu’elle fait obstacle à cette exécution.
(CA Toulouse, 3 octobre 2019 n°19/01579)
(CA Paris, pôle 06, ch. 12, 17 mars 2016, n°15/04263 en matière de cotisations sociales)
(CAA Douai, 28 janv. 2016, n° 15DA01345 en matière fiscal)
4 - Les précédents judiciaires en matière d’épidémies :
A l’époque des épidémies de la grippe H1N1 de 2009, de la dengue ou encore du Chikungunya, la jurisprudence s’était positionnée unanimement contre la qualification de force majeure.
(CA Besançon, 8 janvier 2014 RG n° 12/02291)
(CA Nancy, 22 novembre 2010 RG n° 09/00003)
(CA Basse-Terre, 17 décembre 2018 RG n° 17/00739)
Ces précédents ne feront peut-être pas religion considérant l’ampleur de l’épidémie actuelle et les graves mesures de restrictions et de confinement en vigueur… mais ils existent.
5 - Préconisations – En tout état de cause, cette position franche des Tribunaux dissuade de pouvoir compter sereinement sur la force majeure dans le cadre de l’exécution (ou inexécution) des rapports contractuels entre entreprises.
Demeure la discussion entre parties.
Sous réserve d’une absence de renonciation stipulée dans le contrat liant les parties, l’entreprise est admise légalement à tenter de renégocier ses contrats en mettant en œuvre le mécanisme de renégociation pour imprévision prévu par l’article 1195 du Code civil, si toutes les conditions sont réunies :
« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. »
Partant, en cas de difficultés majeures, l’entreprise a tout intérêt, à en informer son cocontractant dans les plus brefs délais et de discuter amiablement des conséquences (suspension des prestations, obligation de négocier de bonne foi, résiliation, etc.).
A défaut d’accord, l’entreprise pourra se tourner vers le Juge non pas pour soulever la force majeure mais les dispositions de l’article 1195 du code civil… à la réouverture des tribunaux.